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ERICK MARSET

EXTRAITS

Les cannes de sang

Dans le ciel, le soleil était à son zénith. Aucun nuage ne venait faire rempart à ses rayons. Telles des lances de guerriers antiques, les feuilles de canne à sucre se dressaient vers le firmament. Nul vent en balade ne les agitait.
Dans les airs, des oiseaux faisaient des rondes, cherchant un périmètre où se
poser tranquillement. Les scolopendres et d’autres insectes étaient légion à ces moments-là, d’innombrables congolios serpentaient dans toutes les directions ; on eut dit qu’ils étaient vomis des entrailles de la terre. Ils constituaient un mets de choix pour les volatiles.
Des éclats de lumière fusaient du sol ; leurs sources étaient les mouvements
de bras maniant des coutelas neufs qui tranchaient net dans les cannes à sucre qui étaient aussitôt décapitées.
Il y avait toute une frénésie. Des “han” que poussaient les hommes avec une
forte inspiration. Les vêtements trempés de sueur leur collaient à la peau.
Certains s’arrêtaient un court instant pour détendre les muscles des bras. Dans leurs yeux, la fatigue se mêlait à des interrogations muettes.

L'envie sans lendemain

Les rues de la ville étaient désertes à cette heure de la nuit, une brise légère
soufflait à travers les branches d’arbres isolés ; parmi eux, un manguier trônait solitaire. Ils semblaient être en disharmonie avec le béton qui les encerclait comme des hommes de troupe coupant toute retraite à des ennemis.
À proximité, certaines fenêtres des bâtiments étaient éclairées par une lumière dorée, et d’autres par une lumière d’un blanc cru. Les lampadaires étaient plantés sur les trottoirs telles des sentinelles garantissant la sécurité des habitants du lieu.
Des rats profitaient du peu de circulation humaine pour sortir des égouts avec fébrilité, et cheminer allègrement dans les caniveaux, ils s’éparpillaient aussi aux alentours à la recherche de débris alimentaires jonchant le sol près des poubelles.
Une brusque rafale de vent déferla sur la rue, rasa les immeubles, et fit
claquer les contrevents de fenêtres dont les crochets ne remplissaient plus leur fonction, emporta quelques bouts de papier abandonnés à terre ; puis tout cela s’arrêta d’un coup.
Non loin, des pas feutrés arpentaient le béton, paraissant hésiter ; comme une difficulté à s’orienter dans le temps et l’espace.
Les rats se hâtèrent de regagner leur obscur refuge souterrain en piétinant les ravets qui se mouvaient dans toutes les directions.